05/ Le règne d’Albert Ier (1909-1934)

Suite au décès du fils de Léopold II et à la loi salique qui interdit à ses filles de monter sur le trône, c’est son neveu Albert (époux de Élisabeth von Wittelsbach, Duchesse de Bavière) qui lui succède en 1909. La Belgique est, à cette époque, la neuvième puissance économique du monde et dispose désormais d’une colonie qui va lui apporter d’énormes débouchés pendant plusieurs décennies et accroître son prestige sur le plan international.

albert et elisa

La vie politique à la veille de la 1er guerre mondiale

La lutte pour le suffrage universel pur et simple se poursuit. Le “patron” du POB (Émile Vandervelde) dépose une proposition dans ce sens en 1912. En 1913, une nouvelle grève générale est organisée par le POB (Parti Ouvrier Belge). Elle se déroule, cette fois, sans violence alors même que l’ampleur du mouvement est sans précédents (300.000 à 450.000 grévistes selon les sources). Le problème du suffrage universel demeure posé à la veille de la guerre.

Loi Poullet de 1914 (en vigueur seulement à partir de 1919 du fait de la 1er guerre mondiale) institue pour la 1er fois un enseignement primaire obligatoire et gratuit pour les enfants âgés de 6 à 14 ans.

La vie économique à la veille de la 1er guerre mondiale

A la veille de la Première guerre mondiale, la Belgique se situe toujours parmi les principales puissances industrielles du monde.

La Société Générale de Belgique est, en 1913, une grande banque internationale qui a des participations dans tous les pays du monde. Elle contrôle, en outre, 2/3 de l’économie du Congo.

La première guerre mondiale (1914-1918)

Son déroulement

Le 4 août 1914, les troupes allemandes pénètrent en Belgique, pays neutre. Pour la première fois depuis la reconnaissance de son indépendance, le pays se retrouve dans un conflit armé.

Face à la résistance belge, l’armée allemande exerce, pendant le mois d’août 1914, des représailles très dures à l’égard de la population civile belge. Plus de 5.000 civils vont être tués en 20 jours (5 août- 26 août). L’armée allemande n’avait ni prévu de rencontrer une résistance militaire aussi acharnée ni d’avoir affaire à une population civile aussi rebelle à son autorité. Dans certains cas, suite à des actions de prétendus francs-tireurs, les Allemands vont fusiller sans aucune forme de procès de nombreux civils choisis au hasard. Le 22 août 1914, les soldats de l’armée allemande vont fusiller sur la place de Tamines plusieurs centaines de Taminois. On comptera 383 victimes. Le lendemain, à Dinant, ce seront 674 personnes qui seront tuées. Par ailleurs, 15 000 maisons vont être incendiées. On en comptera 1.500 rien qu’à Dinant, 600 à Visé sans compter les autres villes comme Andenne, Tamines et Louvain.

ruines-vise

Au début de la guerre, entre 1.300.000 et 1.500.000 Belges, soit près d’1/5e de la population vont chercher refuge à l’étranger (principalement aux Pays-Bas, en France et en Grande-Bretagne) . Toutefois, la grande majorité d’entre eux (en particulier ceux se trouvant aux Pays-Bas) va revenir rapidement en Belgique.

Belgian refugees 1914

Face à l’avancée des troupes allemandes, le Commandement belge décide d’inonder la plaine de l’Yser afin de les stopper. Cette manœuvre réussit. La montée des eaux force les armées en présence à renoncer aux grandes tentatives de percée. La guerre de mouvement se transforme en guerre de tranchées. Les Allemands restent à proximité de l’Yser, les Belges prennent position derrière la digue du chemin de fer Nieuport-Dixmude. Entre eux, il n’y a que de l’eau et des marais.

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A partir d’octobre 1914, toute la Belgique va donc être occupée à l’exception d’un petit bout de territoire à l’ouest de l’Yser (à proximité de la frontière française). Le gouvernement belge {Catholique au départ, il va s’élargir aux partis libéral et socialiste, formant ainsi une “union sacrée”} se réfugie en France (à Sainte-Adresse près du Havre).

Le Roi, Albert Ier, estime qu’en temps de guerre, il est dispensé de la responsabilité ministérielle prévue par la Constitution (celle-ci prévoit que le Roi ne peut jamais prendre de décision sans l’approbation du gouvernement) et qu’il doit commander personnellement les troupes en tant que chef de l’armée. Aussi va-t-il demeurer, pendant toute la guerre, et sans l’accord du Gouvernement, sur le front de l’Yser (seule zone à ne pas être occupée par les troupes allemandes).

Environ 42.000 militaires belges vont trouver la mort pendant le conflit. En rapport avec la taille de l’armée belge, il s’agit d’un nombre particulièrement élevé de victimes. 50.000 soldats seront mutilés et 100.000 habitations seront détruites.

Du mois d’octobre 1914 jusqu’en octobre 1918, le champ de bataille va se trouver à quelques kilomètres du centre de la ville d’Ypres. Alignées du nord vers le sud, les tranchées forment une boucle autour de la ville. Dans cette fameuse boucle d’Ypres ou “Saillant d’Ypres“, pas moins de cinq batailles sanglantes vont avoir lieu.

Le 22 avril 1915, la seconde bataille d’Ypres va être engagée avec la toute première grande attaque au gaz de l’histoire. Le gaz chlorique va asphyxier des milliers de militaires alliés, surtout des troupes françaises et beaucoup de Nord-Africains. C’est la première fois dans l’histoire qu’une arme de destruction massive est utilisée. Plus tard dans la guerre, le Saillant d’Ypres va s’avérer être un champ de bataille expérimental: c’est là, en 1915, que l’on va utiliser pour la première fois des lance-flammes et qu’en juillet 1917, on va faire usage du terrible gaz moutarde {Arme chimique visant à infliger de graves brûlures chimiques des yeux, de la peau et des muqueuses, y compris à travers les vêtements et à travers le caoutchouc naturel des bottes et masques, durant la Première Guerre mondiale}.

guerre-masques gaz

La troisième bataille d’Ypres va sévir du 31 juillet jusqu’au 10 novembre 1917 avec pour stade final “la bataille de Passchendaele” qui va être un massacre sans pareil.

Dans ces tranchées et dans le no man’s land qui les entoure, environ un demi-million de personnes vont trouver la mort entre 1914 et 1918. Parmi eux, non seulement des Allemands, des Français, des Britanniques et des Belges, mais aussi des Marocains, Algériens, Tunisiens, Sénégalais, Canadiens, Australiens, Néo-Zélandais, Chinois, Indiens et Jamaïcains, ainsi que beaucoup d’autres nationalités {Voir: ieper.be}.

La vie dans les tranchées est très dure. Elles sont construites en terre et se remplissent d’eau dès que les premières précipitations apparaissent. Quand l’eau monte très vite, les soldats risquent la noyade. Après des pluies abondantes, la terre se transforme en boue. Les soldats s’y retrouvent confrontés aux rats, aux maladies, au froid et au bruit. Dans la tranchée, le temps se passe surtout à attendre. Une attente dans le danger et la mort permanente. Les soldats sont là, face à face.

Dans les tranchees hiver 1915-1916

Idée de visite: Le musée “In Flanders Fields” à Ypres, le “boyau de la Mort” à Dixmude et les nombreux cimetières militaires de la région

Le musée “In Flanders Fields” {In Flanders Fields Museum, Lakenhallen –icon map-makerGrote Markt 34 – 8900 Ieper icon phone32 (0)57/23 92 20 – icon envelopeinflandersfields.be} présente l’histoire de la Première Guerre mondiale dans la région du front en Flandre Occidentale. L’exposition permanente raconte l’invasion de la Belgique et les premiers mois de la guerre de mouvement, les quatre années de guerre des tranchées dans le Westhoek, puis la fin de la guerre et la commémoration qui n’a pas cessé depuis. La scénographie est centrée sur l’expérience humaine. Des personnages ayant réellement existé et des présentations interactives confrontent le visiteur contemporain à ses semblables ayant connu la guerre, il y a un siècle.

Le “boyau de la Mort” {icon map-makerIJzerdijk 65 – 8600 Diksmuide –icon phone32 (0)51/50 53 44} est le dernier élément conservé du front belge de la Première Guerre Mondiale. Il est constitué de deux tranchées parallèles de 400 mètres creusées dans la digue de l’Yser, la tranchée avant de combat et la tranchée arrière de support.

On trouve quelque 150 cimetières militaires dans la région entourant Ypres. Parmi ceux-ci celui de Tyne Cot {icon map-makerVijfwegenstraat 1 – 8980 Zonnebeke –icon phone32 (0)51/77 04 41} (situé près de Passendale), probablement un des plus vastes cimetière britannique du monde, où reposent quelque 12.000 soldats.

Le Comité national de Secours et d’Alimentation

En septembre 1914, le groupe Solvay {L’industriel Ernest Solvay (voir supra) met à la disposition du Comité un million de francs belges de l’époque} et la Société Générale patronnent la création d’un Comité national de secours et d’alimentation. Des catholiques, des libéraux et des socialistes y travaillent ensemble afin d’apporter une aide matérielle à la population touchée, en ces temps de guerre, par le chômage {La grande industrie n’était plus en mesure d’importer les matières premières indispensables ni d’exporter une partie très importante de ses produits. De plus, l’occupant avait emporté une partie importante des moyens de production} (le chiffre moyen des chômeurs durant la guerre se situe aux alentours de 650.000, soit plus de la moitié du nombre total d’ouvriers et d’employés) et les restrictions. Ce Comité va exercer une autorité de fait qui ne cessera de croître et va permettre d’éviter la famine {Au total, le Comité a dépensé en Belgique plus de 2 milliards de francs en aide directe aux indigents et importé et distribué pour une valeur approchant les 25 milliards. L’énormité de ces sommes saute aux yeux quand on pense qu’en 1912, le budget de l’Etat ne dépassait pas 895 millions. PEETERS (G) (sous la direction de), La Belgique: une Terre, des Hommes, une Histoire, éd. Elsevier, 1980, p.243}.

Par ailleurs, faute de ce type d’aide, le risque existait de voir les chômeurs se mettre à travailler pour les Allemands, soit en Belgique, soit en Allemagne (où se faisait sentir un manque de main-d’œuvre toujours plus aigu).

Lorsque le gouvernement allemand va constater que les ouvriers belges ne se porteraient jamais volontaires pour aller travailler en Allemagne, il va décider de déporter, en Allemagne, de la main-d’œuvre prise dans les territoires occupés. 120.000 hommes vont être transférés en Allemagne (octobre 1916 – février 1917) où près de 3.000 vont mourir.

Le mouvement flamand

Pendant la guerre, une “Flamenpolitik” va être menée par l’occupant allemand. Elle se base sur l’exploitation des problèmes linguistiques en Belgique (les Allemands étant soucieux de semer la discorde entre Belges), en particulier la discrimination de la langue néerlandaise en cours avant la Première Guerre mondiale, mais aussi sur le pangermanisme {Le pangermanisme est un mouvement politique né au 19e siècle visant l’unité de tous les germanophones d’Europe, ou identifiés comme tels par les penseurs de cette théorie}. Cette politique se traduira notamment par la séparation administrative de la Belgique en deux: la Flandre (avec Bruxelles comme capitale) et la Wallonie (avec Namur comme capitale) ainsi que la fixation de la frontière linguistique (1917), …

Dans un tel contexte, le mouvement flamand présente des tendances très contrastées. Une première tendance est, en Belgique occupée, l’activisme (la collaboration). Les activistes entendent mettre les circonstances de la guerre à profit pour faire progresser leurs revendications.

Une autre tendance prend la forme du mouvement frontiste qui naît, dans la partie non occupée de la Belgique, parmi les intellectuels “flamingants” sous les armes. Ce mouvement naît dans un contexte où le français conserve sa prééminence dans l’armée, les ordres et commandements étant donnés quasi exclusivement dans cette langue alors même que de nombreux soldats -paysans et ouvriers flamands- ne la comprennent pas. Ce mouvement revendique une flamandisation de la vie publique en Flandre.

D’autres tendances du mouvement flamand (numériquement plus importantes) considèrent, elles, que les revendications flamandes, quel que soit leur bien fondé, ne doivent pas donner lieu à des polémiques publiques en temps de guerre.

La guerre en Afrique

La Première guerre mondiale va également se dérouler sur le continent africain (Afrique de l’Est) où les belligérants ont des colonies. Ces combats opposent les troupes de l’Empire Allemand aux troupes coloniales du Royaume-Uni, de la Belgique et du Portugal.

La participation des troupes belges basées au Congo est importante. La logistique a elle-seule mobilise 250.000 porteurs, sans compter les troupes.

Congo belge campagne 1918

La vie politique après la 1re guerre mondiale

Au titre de dommages de guerre, en application du traité de Versailles {Le traité de Versailles de 1919 est le traité de paix entre l’Allemagne et les Alliés de la Première Guerre mondiale. Il annonce la création d’une Société des Nations et détermine les sanctions prises à l’encontre de l’Allemagne. Celle-ci, qui n’était pas représentée au cours de la conférence, se vit privée de ses colonies et d’une partie de ses droits militaires, amputée de certains territoires et astreinte à de lourdes réparations économiques} (article 34), l’ancienne circonscription (Kreis) prussienne d’Eupen-Malmedy et de Moresnet neutre (Kelmis) vont être rattachées à la Belgique en 1919. Ces cantons seront communément appelés les cantons de l’Est (ou, par certains, les cantons rédimés).

La 1re guerre mondiale (1914-1918) va avoir d’importantes conséquences du point de vue de la politique intérieure.

Au lendemain de la guerre, le gouvernement demeure un gouvernement d’union nationale (avec des ministres catholiques (6), libéraux (3), socialistes (3)). Le défi est de taille: il faut organiser la reconstruction du pays.

Une série de réformes fondamentales vont être menées durant cette période.

Le suffrage universel pur et simple pour les hommes

Les premières élections au suffrage universel pur et simple (1 homme = 1voix) pour les hommes de plus de 21 ans vont avoir lieu en 1919 {Notons qu’ il ne sera inscrit dans la Constitution qu’en 1921}.

Le droit de vote des femmes va, par contre, être limité aux élections communales (1921), à l’exception des veuves de guerre et des mères de soldats décédés qui vont pouvoir, elles, également participer aux autres élections (élections législatives et provinciales).

Par contre, les femmes sont éligibles à tous les niveaux {Notons que si les femmes sont éligibles, le nombre de parlementaires reste cependant extrêmement faible durant l’entre-deux-guerres: à la Chambre on compte trois représentantes élues directement, au Sénat trois sénatrices cooptées. In AVG-CARHIF, Les femmes et le droit de vote en Belgique: un peu d’histoire avg-carhif.be – independance}.

Des réformes sociales

Celles-ci font souvent suite aux grèves, toujours plus nombreuses, qui vont se dérouler dans le secteur des charbonnages et de la métallurgie, en particulier.

Parmi les réformes sociales qui seront prises, il y aura notamment l’introduction de l’impôt sur le revenu, l’abrogation de l’article du code pénal entravant fortement l’exercice du droit de grève (1921), la limitation à 8 heures de la journée de travail (1921), la création de la Société nationale des habitations à bon marché (1920) de même que l’établissement des premières commissions paritaires (CP) dans le secteur de l’industrie (1919). Ces CP, qui sont des lieux de discussion entre les travailleurs et les employeurs, vont progressivement se généraliser malgré certaines réticences patronales et vont devenir le cadre de négociations de conventions collectives entre représentants des employeurs et des travailleurs.

Parmi les autres réformes qui vont se succéder à cette époque, on notera celle relative à l’assurance vieillesse et au décès prématuré qui va être rendue obligatoire pour les ouvriers et les employés (1924-1925), tout comme la couverture des maladies professionnelles (1927). En outre, un système obligatoire d’allocations familiales va être organisé (1930).

La flamandisation de l’Université d’État à Gand (1930)

En 1930, l’Université d’État à Gand devient la 1re université flamande. Mais cela ne s’est fait qu’au terme de bien des débats et de bien des péripéties, ce qui va générer une grave déception dans l’opinion flamande.

L’égalité des 2 langues nationales (1932)

Le néerlandais acquiert la même position légale en Flandre que le français en Wallonie (principe de l’unilinguisme des régions), tandis que Bruxelles et l’administration centrale de l’État doivent devenir bilingues.

A Bruxelles, les lois linguistiques vont être cependant, en pratique, à peine appliquées ou habilement contournées (il n’y avait pas de contrôle de leur application effective).

L’abolition du principe de la neutralité obligatoire

La Belgique signe un accord militaire défensif avec la France en 1920.

La pratique des coalitions gouvernementales

Les effets conjugués du suffrage universel et de la représentation proportionnelle vont imposer la pratique des coalitions gouvernementales. Les partis qui s’associent en vue de la formation d’un gouvernement sont contraints de négocier entre eux un programme qui consigne à la fois les satisfactions que chacun d’entre eux obtient et les concessions que chacun d’entre eux fait. Durant cette période, la coalition qui va couvrir, au total, la plus longue période (sans être pour autant celle qui s’est formée le plus souvent) est celle des catholiques et des libéraux, c’est à dire celle des partis qui avaient alterné au pouvoir au 19e siècle. La pratique de la coalition aura notamment pour effet de voir apparaître la fonction de Premier Ministre, fonction qui était, comme telle, inexistante auparavant et dont le rôle ne cessera de croître en importance.

L’instabilité gouvernementale va être grande de 1918 à 1921 et de 1931 à la deuxième guerre mondiale. Une cause fréquente de la chute des gouvernements sera la question linguistique (dont la question de l’université flamande de Gand).

La vie économique après la 1re guerre mondiale

Le mouvement de concentration des entreprises se poursuit. La Société Générale de Belgique prend le contrôle d’entreprises existantes {comme la Fabrique Nationale d’armes de guerre} et participe à la création de nouvelles sociétés {comme Pétrofina}. Des sociétés de grandes dimensions naissent par fusion d’entreprises existantes: Electrobel {Compagnie Générale d’Entreprises Électriques et Industrielles} (1929), l’Union Chimique Belge (1930).

Les régions flamandes progressent économiquement. Grâce notamment à la législation sociale, les salaires en Flandre (qui étaient nettement plus bas qu’en Wallonie avant 1914) sont augmentés. Dans le domaine agricole, la modernisation ainsi qu’une meilleure organisation du marché et la loi sur les fermages (1929) offrent aux fermiers et ouvriers agricoles des conditions d’existence supérieures à celles qu’ils connaissaient avant la guerre. La Flandre rattrape progressivement (de par son processus d’industrialisation) l’énorme retard économique qu’elle a par rapport à la Wallonie qui, elle, se retrouve dans un état de relative stagnation économique (même si elle est toujours plus prospère que la Flandre). Les rapports entre communautés se trouvent en pleine mutation {Peeters (G) (sous la direction de), La Belgique: une Terre, des Hommes, une Histoire, éd. Elsevier, 1980, p. 254}. Les holdings bruxellois et wallons n’investissent plus guère en Wallonie dans de nouveaux secteurs, comme par exemple la construction métallique. A moyen terme, cette abstention va devenir fatale {Craeybeckx (J), op.cit., p. 218}.

La crise économique internationale, dont le signal de départ est constitué par le krach de la bourse de New York (octobre 1929) va se faire sentir réellement en Belgique à partir de 1931. Le chômage va croître de façon effrayante: de 76.000 chômeurs complets fin 1930, on passe à 200.000 en 1931, à 340.000 en 1932 et à 350.000 en 1934, année où plus d’un tiers des travailleurs assurés contre le chômage se trouvent complètement ou partiellement sans emploi {Peeters (G) (sous la direction de), op.cit., p. 261}.

Idée de film: Misère au Borinage d’Henri Storck {vidéo https://www.youtube.com/watch?v=Uhe381M_tvY}

Misere au Borinage d Henri Storck

Misère au Borinage{Disponible: cinematek.be} est un film tourné en 1932 et 1933 par Henri Storck et Joris Ivens. Ce documentaire militant explore longuement la misère des mineurs, l’exploitation ouvrière au Borinage à cette époque, les conditions de vie difficiles des ouvriers de la houille, leurs maladies physiques, etc. Il est aussi une évocation de la grande grève de 1932 qui a paralysé les charbonnages de Wallonie et la répression sans pitié qui s’en suivit.

Le Ruanda-Urundi

Après la guerre, la Belgique va obtenir (en 1923) de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU actuelle) un mandat sur le Ruanda-Urundi {actuels Rwanda et Burundi} (ex colonies allemandes). En 1925, ces territoires vont être rattachés au Congo belge dont ils vont constituer désormais la septième province tout en conservant un statut conforme au mandat (en pratique, les territoires sous mandat étaient traités comme des colonies).

Des anciens royaumes traditionnels

Le Ruanda et l’Urundi sont d’anciens royaumes traditionnels qui vont parfois être qualifiés de “faux jumeaux” car au-delà des ressemblances manifestes, leurs structures sociales et politiques, bien que voisines, ne sont pas identiques {Medard (J-F), Rwanda, Burundi: les racines de la violence, L’Afrique en direct}.

Au Ruanda

Au Ruanda, la période précoloniale va être caractérisée, notamment, à partir de la 2e moitié du 18e siècle, par la fixation de populations (pasteurs comme agriculteurs) jusqu’alors itinérantes et la montée en puissance d’une dynastie d’origine pastorale qui va supplanter ses rivaux et contrôler des corps d’armées. Durant le 19e siècle, à partir du Ruanda central (entre Kigali et Gitarama), la dynastie va s’efforcer d’étendre et de consolider ses conquêtes.

Les lignées royales et les lignées qui leur sont apparentées sont tutsies, elles possèdent de grands troupeaux bovins. Quant aux pasteurs et aux agriculteurs ils sont soumis les uns comme les autres à l’autorité des chefs nommés par le roi.

Le dualisme ethnique n’existe pas sous la forme qu’il prendra au 20e siècle. Le clivage social essentiel est celui qui sépare la noblesse (soit l’entourage dynastique qui possède l’essentiel des pouvoirs) des simples sujets, qu’ils soient agriculteurs ou pasteurs. Les Hutus riches possèdent des vaches (acquises en échange de produits vivriers), les Tutsis pratiquent également l’agriculture mais privilégient l’élevage (l’inégalité en fortune pastorale est très grande: des quelques têtes de bétail possédées par le petit éleveur à plusieurs troupeaux pour les grands personnages du royaume).

L’appartenance (par filiation paternelle) à une lignée d’origine hutue, ou d’origine tutsie, est établie par la généalogie, mais cette distinction n’empêche ni les mariages, ni les échanges économiques {Ce qui précède est extrait de: Vidal (C), Les relations entre Hutus et Tutsis de 1750 à 1973: période précoloniale, colonisation et indépendance[icon pdf ],’ première République ‘}.

Tous les Tutsis n’appartiennent pas à la noblesse et dans certaines contrées, des familles hutues sont au pouvoir {Il y a eu, au nord et à l’ouest, des zones hutues qui ont conservé plus ou moins leur autonomie}. Les Tutsis eux mêmes vivent dans des conditions sociales différentes. Économiquement, politiquement et même socialement, ils sont hiérarchisés les uns par rapport aux autres et il en va de même pour les Hutus {Shyaka (A), LE CONFLIT RWANDAIS, Origines, Développement et Stratégies de sortie[icon pdf ], Étude commandée par La Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation}.

Ainsi, même si les appartenances Hutue, Tutsie et Twa (Pygmées) ont bien existé avant la colonisation, elles n’avaient pas le même contenu et n’étaient pas des références identitairement primaires ni génétiquement hermétiques. En outre, la “tutsité” et la “hutuité” n’étaient pas des appartenances invariablement immuables. Les mécanismes de promotion sociale ou la “tutsification” pour les Hutus mais aupeau important de vaches, pouvaient provenir de 3 actes fondamentaux: la décision royale, le mariage d’une fille d’un “grand Tutsi” ou l’adoption par un Tutsi. Le phénomène inverse, la “hutification“, une sorte de dégradation sociale, existait aussi pour les Tutsis qui se retrouvaient dépossédés de leurs troupeaux  {Shyaka (A), LE CONFLIT RWANDAIS, Origines, Développement et Stratégies de sortie[icon pdf ], Etude commandée par La Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation}.

Il y avait donc une certaine “mobilité“. Certains Hutus riches pouvaient accéder à la Cour et étaient considérés comme Tutsis. On a même vu des Twas anoblis à la Cour (mais ils étaient méprisés, cependant, tant par les Hutus que par les Tutsis) {DE HEUSCH (L), Tutsis, Hutus et Histoire, République n°23-24, octobre-novembre 1994}.

Être Tutsi signifiait appartenir à une classe dominante, être propriétaire de bétail, exercer une fonction politique… Ces distinctions étaient sociales et non pas ethniques ou raciales {DE HEUSCH (L), Tutsis, Hutus et Histoire, République n°23-24, octobre-novembre 1994}.

Au Burundi

Comme au Ruanda voisin, l’histoire du Burundi est marquée par l’existence d’un royaume ancien, préexistant à la période coloniale. Il s’agit d’une monarchie de droit divin, très structurée et peu ouverte sur l’extérieur. Les mwamis (rois) successifs vont élargir le pays par des conquêtes réalisées aux dépens des royaumes voisins et consolider leur pouvoir en s’appuyant sur la caste aristocratique (non tutsie) des Baganwas, appartenant souvent à la famille royale.

Contrairement au Ruanda où le pouvoir royal est très fort, il y a, au Burundi, un système plutôt de type féodal qui se traduit par l’existence de grands princes possédant des fiefs. Cette classe intermédiaire n’existait pas au Ruanda {DE HEUSCH (L), Tutsis, Hutus et Histoire, République n°23-24, octobre-novembre 1994}.

→ Les identifications héréditaires patrilinéaires en tant que Hutu ou Tutsi ne correspondent pas à une différenciation linguistique, culturelle ou géographique. Ces catégories correspondent à d’anciens clivages sociaux {CHRÉTIEN (J.P), Le défi de l’intégrisme ethnique dans l’historiographie africaniste[icon pdf ]. Le cas du Rwanda et du Burundi}. Hutus et Tutsis parlent la même langue, ont la même religion, sont membres des mêmes entités politiques depuis des siècles (les monarchies du Ruanda et du Burundi) {Lainé (A), “Identités biologiques, identités sociales et conflits ethniques en Afrique subsaharienne”, Journal des anthropologues, 88-89}.

Instauration d’une administration indirecte très directive

La Belgique va instaurer dans ces territoires une administration indirecte dans la forme (elle va conserver la monarchie) mais très directive en pratique {Vidal (C), Les relations entre Hutus et Tutsis de 1750 à 1973: période précoloniale, colonisation et indépendance[icon pdf ],’ première République ‘}. Cela se fera par le biais d’une réforme administrative de grande envergure, inaugurée dès 1923, systématisée à partir de 1926 et terminée théoriquement en 1933, réforme qui lui permettra de s’arroger les pleins pouvoirs {Gahama (J), Le Burundi sous administration belge, éd. Karthala, p. 36}.

Cette réforme va provoquer d’importants changements sur le plan politique, administratif, économique, social et culturel.

Elle va instituer des chefferies et des sous-chefferies en procédant au regroupement d’anciennes entités politico-administratives royales et va écarter les chefs coutumiers peu collaborants. Le pouvoir royal va être fortement affaibli {Notons que dans le cas du Burundi, le processus d’affaiblissement du pouvoir royal est déjà en cours à l’arrivée des Belges. Les grandes réformes des années 1926-33 supprimeront les derniers domaines propres au Mwami (Roi). In Gahama (J), Le Burundi sous administration belge, éd. Karthala, p. 21} au profit de celui du colonisateur, incarné par le Résident {Le Résident du Ruanda et celui de l’Urundi sont les supérieurs hiérarchiques des Administrateurs de territoires. Leur supérieur hiérarchique est le Vice-Gouverneur général du Ruanda-Urundi}.

A la tête des chefferies et sous-chefferies, vont être placés exclusivement les héritiers des lignées qui formaient l’entourage dynastique.

Les autorités coutumières issues de cette réforme vont avoir l’obligation d’encadrer administrativement leurs circonscriptions administratives et vont recevoir des consignes très précises en matière de mobilisation des populations sur le plan économique.

nota bene NB; En terme linguistique, les membres du personnel de l’administration, en contact permanent avec les indigènes, vont être tenus de posséder une connaissance aussi complète que possible des langues régionales.

Mise en place d’une politique favorisant les Tutsis

Lorsque les Européens, explorateurs, missionnaires et militaires vont découvrir cette région, ils vont être frappés par le contraste existant entre deux types humains. D’un côté, des Tutsis grands, élancés. De l’autre, des Hutus, plus petits et trapus. Les Européens vont construire sur cette base un véritable mythe historique {Missionnaires et “savants” vont élaborer une historiographie complètement mythologique selon laquelle les Tutsis auraient été des envahisseurs nomades, guerriers et pasteurs originaires du haut Nil, descendants des Egyptiens et des Ethiopiens de l’antiquité, et auraient fondé ces royaumes en assujettissant les autochtones hutus. Lainé (A), “Identités biologiques, identités sociales et conflits ethniques en Afrique subsaharienne“, Journal des anthropologues, p 88-89 – 2002} en distinguant une race des seigneurs, les Tutsis conquérants “Hamites” venus du nord, race faite pour gouverner et une race inférieure de “Bantous” conquise et dominée par ces derniers. Il s’agit d’une application de l’historiographie et de l’anthropologie physique caractéristiques de la fin du 19ième siècle. Et cette représentation va servir de base aussi bien à l’action des administrateurs coloniaux qu’à celle des missionnaires. Ils vont appuyer leur domination et leur influence sur les Tutsis pour régner sur la “masse” des Hutus {Medard (J-F), Rwanda, Burundi: les racines de la violence, L’Afrique en direct}.

La réforme administrative va donc, par la même occasion, ethniser la redistribution du pouvoir dans les nouveaux commandements au profit des ressortissants de grands lignages tutsis {Collectif, L’enseignement de l’histoire du Rwanda[icon pdf ], The Regents of the University of California, 2006}. Tous les chefs hutus vont être écartés des structures politiques traditionnelles {Shyaka (A), LE CONFLIT RWANDAIS, Origines, Développement et Stratégies de sortie[icon pdf ], Etude commandée par La Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation}.

→ Les colonisateurs, habitués à penser en termes d’inégalité raciale, vont considérer que Hutus et Tutsis appartiennent à deux races différentes, la seconde étant supérieure à la première.

Prétendant “rétablir la coutume dans sa pureté primitive”, l’administration belge va entreprendre, dans les années 30, d’épurer le milieu dirigeant local de ses éléments hutus. Elle va sélectionner de plus en plus exclusivement, dans les années 1940 et 1950, les fils de Tutsis (ou de princes dits Ganwa au Burundi) pour l’entrée à l’école d’Astrida (Butare), le seul établissement secondaire autre que les séminaires, où étaient formés alors les futurs cadres des deux pays. On cultive chez cette élite un esprit “d’aristocratie naturelle“: “les Batutsi étaient destinés à régner (…) sur les races inférieures qui les entourent” {P. Ryckmans, Dominer pour servir, Bruxelles, 1931, p. 26}. Ce complexe féodo-hamitique va être au coeur des pratiques sociales discriminatoires de l’administration indirecte: les “seigneurs tutsis” doivent aider les Européens à faire travailler les “serfs hutus“.

Au nom de l’efficacité et du progrès, le pouvoir des chefs locaux est incroyablement renforcé par l’affaiblissement de la royauté, vidée de son contenu religieux et donc populaire {CHRÉTIEN (J.P), Le défi de l’intégrisme ethnique dans l’historiographie africaniste[icon pdf ]. Le cas du Rwanda et du Burundi}.

En 1933-1934, une carte d’identité va être établie sur laquelle se retrouve mentionnée l’appartenance “Tutsi” ou “Hutu”. Elle mentionne la qualité de Tutsi pour tout individu possédant plus de dix vaches {En plus de ce critère-là, un autre critère semble avoir été utilisé: la taille des personnes. Morel (J), La France au coeur du génocide des Tutsi, éd. L’Esprit frappeur, 2010, p. 21}, de sorte que des descendants d’éleveurs, pauvres en bétail, vont être enregistrés comme Hutus, tandis que de riches agriculteurs, détenant un cheptel suffisant vont être inscrits comme Tutsis {Vidal (C), Les relations entre Hutus et Tutsis de 1750 à 1973: période précoloniale, colonisation et indépendance[icon pdf ],’ première République‘}.

→ Ainsi, ce qui n’était qu’une vision simplifiée, caricaturale d’une certaine réalité est devenu la réalité elle-même, vécue par les Tutsis et par les Hutus. Cette représentation va être, en effet, progressivement intériorisée par les intéressés. De sociétés très hiérarchiques et inégalitaires, mais relativement intégrées, non figées et fort complexes, on est donc passé à des sociétés “dichotomisées”, sur la base d’une structure sociale très simplifiée vécue en termes de races et politisées sur la base de ce clivage {Medard (J-F), Rwanda, Burundi: les racines de la violence, L’Afrique en direct}.

Cette instrumentalisation du phénomène ethnique dans les affaires politiques par le colonisateur va avoir pour base différents facteurs: les convictions idéologiques (hiérarchisation raciale), la logique de la colonisation “indirecte” sensée s’appuyer sur des indigènes capables et favorables, la ségrégation dans les écoles et le principe de “diviser pour régner” {Shyaka (A), LE CONFLIT RWANDAIS, Origines, Développement et Stratégies de sortie[icon pdf ], Etude commandée par La Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation}.

Au Ruanda

Le pouvoir colonial va donner du Ruanda précolonial une image falsifiée: celle d’une partition séculaire de la société entre dominants tutsis et dominés hutus. Cette image va confirmer les premiers dans l’idée de leur supériorité et donner aux seconds la conviction qu’ils sont spoliés depuis des siècles {Vidal (C), Les relations entre Hutus et Tutsis de 1750 à 1973: période précoloniale, colonisation et indépendance[icon pdf ],’première République‘}.

Le mythe des «Tutsis évolués» et des «Hutus faits pour obéir» va être méthodiquement véhiculé pendant plusieurs décennies par les missionnaires, les enseignants, les intellectuels et les universitaires, qui vont accréditer cette vision de la société ruandaise jusqu’à la fin des années soixante.

Au Burundi

Bien que les institutions politiques et sociales du Burundi fussent différentes de celles du Ruanda, le colonisateur va aligner le Burundi sur le modèle ruandais. Ainsi, les princes royaux Bangawas vont être considérés in fine comme des Batutsiles {Medard (J-F), Rwanda, Burundi: les racines de la violence, L’Afrique en direct}.

Importance du rôle de l’Église catholique

L’Eglise catholique va jouer un grand rôle dans les deux territoires.

Elle va être de très loin la plus influente des Eglises au Ruanda-Urundi et ce, dès la période coloniale allemande. En effet, en 1900, les missions protestantes ne s’intéressaient pas à cette région, si bien que les Allemands vont laisser le champ libre aux Pères Blancs qui, en 1913, vont fonder 11 missions, stratégiquement réparties {Vidal (C), Les relations entre Hutus et Tutsis de 1750 à 1973: période précoloniale, colonisation et indépendance[icon pdf ],’ première République ‘}.

Toutefois, c’est entre les deux guerres que les missions prendront toute leur extension. Au Ruanda comme au Burundi, la stratégie de l’Eglise et celle de l’administration coloniale vont être identiques, complémentaires et s’appuyer l’une sur l’autre {Medard (J-F), Rwanda, Burundi: les racines de la violence, L’Afrique en direct}. Les Pères Blancs sont persuadés de trouver chez les Tutsis, les meilleurs artisans de l’évangélisation de la région des lacs {CHRÉTIEN (J.P), Le défi de l’intégrisme ethnique dans l’historiographie africaniste. Le cas du Rwanda et du Burundi[icon pdf ]}. C’est l’idée que la conversion des chefs va entraîner celle du reste de la population.

Le Ruanda-Urundi va être davantage une terre de colonisation religieuse qu’économique {DE HEUSCH (L), Tutsis, Hutus et Histoire, République n°23-24, octobre-novembre 1994}. A partir des années 1930, on va voir se développer un mouvement d’évangélisation massive des habitants (chefs tutsis en tête) qui va bouleverser la vie des autochtones. En vingt ans, plus de 90 % des Ruandais vont devenir catholiques. En 1946, le Ruanda va même être solennellement consacré au Christ-roi par la volonté de son Mwami (Roi), fraîchement converti (1943).

Le gouvernement colonial belge va confier à l’Église catholique tout le secteur scolaire et celui de la santé. Elle devient par-là, dès 1932, la principale institution sociale, le deuxième employeur après l’Etat et le premier propriétaire foncier du pays {Medard (J-F), Rwanda, Burundi: les racines de la violence, L’Afrique en direct}.

L’organisation de l’enseignement primaire va débuter en 1924. Quant à l’enseignement secondaire, il va connaître un certain développement de 1948 à 1961. L’éducation telle qu’organisée par l’Eglise catholique, en accord avec le pouvoir colonial, va apparaître comme un système d’enseignement à deux voies différentes sans rapprochement possible. D’une part, un enseignement non formel de masse dispensé dans les catéchuménats, ouvert aux adultes et aux jeunes désireux d’avoir le baptême. Ce type d’éducation est centré sur l’apprentissage de la bible, de la lecture et de l’écriture. D’autre part, un enseignement formel très sélectif et très coûteux, avec un contenu de programme et des structures scolaires calqués sur le modèle belge {NIYONGABO (J), Etude sur la Problématique de l’Education au Burundi, FORUM POUR LE RENFORCEMENT DE LA SOCIETE CIVILE -FORSC, mars 2005, p. 8}.

Les Tutsis, considérés comme des “chefs nés”, vont bénéficier en priorité de l’accès à l’éducation, et donc aux emplois de l’Administration. L’Eglise va contribuer ainsi, de façon décisive, à la fabrication d’une classe dirigeante “Tutsi”. Elle pense se garantir le contrôle de l’élite future du pays. Les étudiants sont formés à Astrida (Butare). En 1932, on compte 45 étudiants tutsis formés pour 9 hutus ; en 1945, on compte 46 Tutsis pour 3 Hutus. En 1954, on compte 53 Tutsis pour 19 Hutus (dont 13 viennent du Burundi) et en 1959, on compte 279 Tutsis pour 143 Hutus. Pour les Hutus qui veulent bénéficier d’un enseignement supérieur, la seule ouverture possible est d’étudier la théologie aux séminaires de Kabgayi et de Nyakibanda. Mais à la fin de leurs études, les étudiants hutus auront des difficultés à trouver un emploi, d’où une frustration et une amertume qui joueront un rôle important dans le soulèvement social et la révolution de 1959 {Medard (J-F), Rwanda, Burundi: les racines de la violence, L’Afrique en direct}.

Dès leur arrivée, les Pères Blancs vont introduire l’alphabet latin et une orthographe commune pour le kinyarwanda et le kirundi au Burundi. Grâce à l’étroit contact qu’ils vont développer auprès des populations autochtones, les missionnaires vont voir leur implantation facilitée: en parlant le kinyarwanda et le kirundi et en s’intégrant aux Ruandais et Burundais, ils vont réussir à acquérir une très forte influence sociale, économique, mais également politique {République du Rwanda}.

Développement économique

En matière économique, on va assister à une période de mobilisation générale marquée par l’introduction et la diffusion des cultures d’exportation {Il s’agira principalement de la culture du café. En effet, dans le sillage d’une idée lancée par les Allemands au début du 20è siècle, l’Etat colonial belge va décider de faire du Ruanda-Urundi une “café”. Hatungimana (A), Le café et les pouvoirs au Burundi, Les Cahiers d’Outre-Mer, 243 – 2008, mis en ligne le 01 juillet 2011, cahier d’outre-mer} et de nouvelles plantes vivrières, par les reboisements, l’ouverture de ces territoires aux échanges ( grâce à la réalisation de réseaux routiers) et par la lutte contre les famines {Gahama (J), Le Burundi sous administration belge, éd. Karthala, p. 31}.

A partir de 1926, l’administration belge va mettre en place un programme agricole de grande envergure dans le but d’éviter les famines comme celles qui avaient existé précédemment {La densité de la population au Ruanda-Urundi était déjà une des plus fortes au sud du Sahara}. Pour réussir ce programme, une dizaine d’agronomes expatriés vont être répartis à travers tout le pays. Ils seront épaulés par un personnel d’appui autochtone formé sur le tas, puis sorti de la section agricole du Groupe Scolaire d’Astrida (Butare). On va voir notamment une intensification des cultures traditionnelles, le perfectionnement de l’outillage agricole, l’amélioration des méthodes d’élevage et l’imposition à tout indigène adulte et valide (non exonéré en la matière) de cultiver et d’entretenir une plantation suffisante de manioc (plante qui est considérée comme étant la seule susceptible de résister en cas de sécheresse et de fortes pluies).

Par ailleurs, c’est aussi à partir de 1926 que l’extraction minière va débuter au Ruanda. Les principaux minerais exploités par les sociétés et les colons miniers vont être la cassitérite, la colombo-tentalite, l’or, le wolfram et minerais mixtes associés à la cassitérite. Cette activité va se développer au fil des décennies. Ainsi, à titre indicatif, en 1955, les mines vont constituer la deuxième source de recettes douanières et un important secteur de travail au Ruanda.

Le Congo belge

A partir de 1920, on va voir se développer, au Congo, l’assistance médicale indigène qui, jusque-là était pratiquement inexistante. Les efforts conjugués de l’État, de grandes fondations médicales (qui vont bénéficier de l’appui financier des pouvoirs publics), de sociétés privées et de missions vont aboutir à la mise en place d’un appareil médical et hospitalier conséquent {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.205}.

C’est également dans les années 1920 que s’ouvre une phase décisive pour le développement économique du Congo, dans les mines, les transports et les grandes plantations. Le cuivre va détrôner le caoutchouc comme produit clé de l’économie congolaise (et ce, jusqu’à l’indépendance et même au-delà).

La demande de main d’œuvre est intense. L’intervention de l’État va être capitale pour le recrutement de celle-ci. Dans la pratique, cela va aboutir à un système de recrutement qui ne différait du travail forcé que par son nom. Les recruteurs travaillant pour les sociétés qui allaient chercher la main d’œuvre dans les villages, en milieu coutumier, étaient puissamment aidés par l’administration territoriale (dont le rôle officiel était de “faciliter” le recrutement en “usant” de son influence). Par ailleurs, une prime par homme recruté était versée au chef de village. On va voir des chefs mettre des recruteurs d’entreprises différentes en concurrence afin d’adjuger leurs hommes au plus offrant. Pendant plusieurs années, dans de nombreuses régions, les recrutements forcés vont résulter, ainsi, de la combinaison de la pression administrative et de la vénalité des chefs.

D’énormes territoires vont être littéralement dépouillés de leur population masculine, ce qui va progressivement donner naissance à un véritable mouvement d’opposition à cette politique dans les missions catholiques mais aussi dans l’administration {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p.17}.

Lorsque le caractère du travail forcé va être connu en Belgique (il le sera fort tard), il va provoquer des contestations et des controverses. Emile Vandervelde (Parti Ouvrier Belge) le dénoncera à la tribune du Parlement en 1929. Ces protestations contribuèrent certainement à hâter l’effacement de la contrainte. Après 1930, ce n’est plus que dans des cas limités que l’on pourra parler encore d’un réel travail forcé {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.229-230}.

La crise économique va provoquer également beaucoup de difficultés dans les colonies. En effet, très lié à l’exportation, l’essor économique est mis à mal par la crise mondiale des années 1930 qui provoque l’effondrement des cours des matières premières. L’emploi industriel au Katanga, par exemple, va être réduit de 70% entre 1929 et 1935. Les revenus des villages vont baisser parfois de 5 à 1. Seule la production de coton va s’étendre fortement {Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p.285}.

Des dizaines de milliers de travailleurs africains vont être licenciés et de nombreux Européens vont rentrer en Belgique.

Le mouvement flamand et le mouvement wallon

A partir de 1930, les projets de réforme du régime unitaire de la Belgique se multiplient. Ils sont particulièrement nombreux en provenance des diverses formes que revêt le mouvement flamand.

De son côté, le mouvement wallon présente lui aussi plusieurs nuances (de modérées à radicales).

Mouvement flamand et Mouvement wallon continuent ainsi à exercer leurs pressions sur les partis et sur les gouvernements.

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