L’immédiat après-guerre
Des mesures à caractère social et culturel
Après 1945, le statut de l’élite congolaise urbaine va être au centre des préoccupations de Belges qui estimaient des réformes nécessaires. Ceux-ci ne vont cependant pas pouvoir tomber d’accord sur un plan cohérent.
A défaut de la reconnaissance de droits politiques ou de la création d’un nouveau statut, l’administration coloniale va adopter une série de mesures partielles à caractère social ou culturel.
Des cercles d’ “évolués” {Catégorie créée par le colonisateur et qui désigne les Congolais “instruits et éduqués” selon les standards européens. Ils appartiennent à la classe moyenne} vont être créés dans les principaux centres urbains, un embryon de presse congolaise va voir le jour (La Voix des Congolais), des associations culturelles ou sociales congolaises vont être autorisées et soutenues. En février 1946, le premier “syndicat pour travailleurs indigènes congolais spécialisés” va voir le jour. Il va connaître un essor rapide. Enfin, le 1/7/1947 va être créé un “Fonds du bien-être indigène“, destiné à “concourir au développement matériel et moral de la société indigène”.
Ces mesures vont trancher suffisamment par rapport au système antérieur pour accréditer auprès d’une partie de l’élite congolaise l’idée que le pouvoir colonial est ouvert à ses aspirations et prêt à satisfaire ses revendications.
Renforcement de l’appareil colonial et essor économique
Parallèlement à cette libéralisation relative, l’appareil colonial va se renforcer. On va augmenter le nombre des cadres de l’administration coloniale ainsi que les exigences de compétences à l’égard des fonctionnaires coloniaux. Les effectifs européens dans la “force publique” vont passer de 329 (en 1936) à 521 (en 1946). Les autres composantes du système colonial (dont les entreprises et les missions religieuses) vont se renforcer également par l’apport de candidats que les 4 années de guerre avaient bloqués en Europe.
A partir de l’essor économique de 1949 (qui perdura jusqu’en 1956), les préoccupations de rendement économique et d’efficacité administrative vont prendre le pas sur le souci d’une démocratisation des institutions de base et d’une participation des Congolais aux responsabilités politiques et administratives. L’administration coloniale qui s’était renouvelée et renforcée après la guerre va préférer faire appel à ses propres cadres pour organiser le développement de l’économie et de l’infrastructure ainsi que pour administrer les populations qui s’aggloméraient rapidement autour des pôles de développement économique et urbain.
Cette expansion économique va favoriser un mouvement de transformation générale de la société qui va affecter particulièrement la démographie {L’accroissement annuel de la population passa de 1% en 1945 à 1,9% en 1952 et 2,3% en 1957. En 1957, 40% de la population avait moins de 15 ans}, la formation des agglomérations urbaines {La population urbaine doubla de 1949 à 1958} et la dissolution des structures rurales {Dès 1956, 22% de la population vivait hors du milieu coutumier dans des centres de plus de 2000 habitants. Les milieux ruraux, et la société traditionnelle en général, vont connaître une crise profonde. Les autorités coutumières (dont le prestige avait déjà été fortement miné par le colonisateur) vont être rejetées par la nouvelle élite “détribalisée” des villes et contestées par celle-ci, même à l’intérieur de leurs fiefs traditionnels}, le niveau de l’instruction primaire et professionnelle et le volume de la main d’œuvre salariée.
En effet, alors que pendant longtemps, les bénéficiaires d’une véritable transformation du niveau de vie ne vont être qu’une minorité {La majorité des indigènes, surtout en brousse, vivent dans une grande pauvreté}, les choses vont commencer à changer à partir de 1947-48, période au cours de laquelle on va voir le cercle de ceux-ci s’élargir considérablement, même si l’écart entre ruraux et citadins ne va pas, pour autant, être comblé {Les ruraux représentaient environ 3/4 de la population à l’époque mais ne disposaient que de 28% du revenu national}, ni celui d’ailleurs, existant entre Africains (en ce y compris les “évolués“) {A titre indicatif, en 1956, les 25.000 engagés européens du Congo avaient un volume de rémunération qui, au total, était presque aussi élevé que celui des 1.200.000 salariés congolais. La rémunération moyenne était de 9.000 francs/an pour l’Africain et de 400.000 francs/an pour l’Européen. Dans les centres urbains, le contraste entre la ville européenne et la cité africaine avait souvent un caractère insolent} et Européens {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p203-204}.
Le début des années 1950
Extension de la scolarisation
La scolarisation va connaître une extension très rapide à partir de 1949 {Le taux de scolarité primaire qui était de 12% avant 1940 atteignit 37% en 1954. in Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.276}. De 1950 à 1959, les dépenses relatives à l’enseignement passeront de 290.000.000 de francs à 2.400. 000.000 francs belges. Toutefois, jusqu’en 1954, l’enseignement universitaire est inexistant, l’enseignement technique supérieur peu développé et l’enseignement secondaire pour Congolais commence seulement à s’organiser. Le taux d’abandons est énorme: sur 12 élèves entrés dans l’enseignement primaire un seul achevait ce cycle et parmi ceux qui le terminaient, 1/6 seulement accédait à l’enseignement secondaire. La semi-scolarisation était donc la règle pour la toute grande majorité des enfants. Les effets de ce système d’enseignement vont être désastreux. Il relevait en fait davantage d’une optique missionnaire (visant à en faire des catéchumènes {Personne qui s’instruit dans la foi chrétienne pour préparer ou confirmer son baptême (Larousse de Poche 2002)}) que d’une politique de promotion culturelle et sociale.
Jusqu’en 1946, le monopole des missions en matière d’enseignement va être pratiquement absolu {Ce monopole laissé pendant longtemps aux missions n’est pas uniquement le fait de la politique menée par les catholiques. Des hommes politiques libéraux vont également défendre cette logique partant du principe qu’il est nécessaire d’éduquer moralement les indigènes et que seule l’évangélisation peut le faire. Il s’agit là d’une attitude qui n’est pas très éloignée de celle de la bourgeoisie à l’égard des classes populaires dans l’Europe occidentale du milieu du 19e siècle. C’est l’idée qu’il faut une religion pour le peuple, que pour des gens simples, il faut une morale simple. Et dans ce cadre, quoi de mieux que des préceptes simples de la morale religieuse: “tu feras ceci, tu ne feras pas cela…” . Religion et morale, ainsi unies, constituaient en même temps le meilleur rempart contre le désordre social.
Ainsi, toutes ces idées appliquées au 19e siècle aux classes populaires d’Europe ont été transposées par la suite, en gros, aux indigènes du Congo. Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.208-211 et 259
Note de la rédaction: Par ailleurs, on peut également faire le rapprochement avec la place réservée aux filles dans l’enseignement dans la première moitié du 19e siècle. En effet, la société de cette époque se préoccupe peu du niveau d’instruction des filles, qui n’ont accès qu’à un enseignement sommaire basé sur des connaissances rudimentaires et les arts ménagers. Le programme de la plupart des écoles pour filles se limite au catéchisme, à la lecture, au calcul et aux “arts d’agrément” (la broderie, la couture, la musique, la danse et la peinture). Il est dispensé dans des pensionnats ou des écoles privées majoritairement aux mains des congrégations religieuses. En effet, jusqu’en 1864, il n’existait pas d’enseignement secondaire officiel pour les filles}. Toutes les écoles du Congo étaient soit des écoles de missions, soit des écoles desservies par des missionnaires. Et, toute l’initiative en matière d’élaboration de programmes scolaires leur revenait. Il n’existait pas de programme gouvernemental d’ensemble. Par ailleurs, les premières écoles officielles laïques (créées à partir de 1946) seront destinées aux Européens {Quelques Africains y seront admis, au compte-goutte (21 élèves Africains pour l’ensemble des établissements, en 1953)}. Il faudra attendre 1954 pour que soit instauré un enseignement officiel laïque pour les Congolais {Cet enseignement va prendre, rapidement, une extension considérable. On va d’ailleurs assister au Congo, tout comme ce fut le cas en Belgique, à une véritable “guerre scolaire” au cours de laquelle, chacune des parties en présence (catholiques/libéraux-socialistes) va tenter de trouver des alliés parmi les Africains}.
Les 3 principales directions de l’effort missionnaire en matière d’enseignement vont être: un enseignement primaire pour la “masse“, parce qu’il était un moyen d’évangélisation, un enseignement de petit et de grand séminaire destiné à former un clergé africain et un enseignement professionnel (qui inclut des Écoles moyennes pour la formation des employés) destiné à former les cadres subalternes pour les secteurs public et privé. L’enseignement secondaire classique (le seul pouvant normalement préparer à l’entrée à l’université), par contre, va être longtemps tout à fait négligé, d’autant plus que les missionnaires réellement qualifiés pour enseigner dans le secondaire étaient peu nombreux (les ordres missionnaires étant rarement des “ordres enseignants”) et se retrouvaient surtout dans les Collèges pour enfants européens {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.209}.
Enfin, une autre caractéristique de l’enseignement au Congo va être de laisser une large place aux langues indigènes. Ceci peut s’expliquer par le fait que la majorité des missionnaires qui y enseignaient étaient néerlandophones et qu’ils voulaient épargner aux Congolais ce dont ils avaient eux-mêmes souffert par le passé (la francisation contrainte). Selon eux, il fallait que tous les Congolais conservent précieusement le trésor de leurs langues africaines, reflets de leurs valeurs propres. Mais les Congolais vont critiquer le fait qu’on ne leur ait pas suffisamment enseigné le français. En effet, l’emploi systématique des langues indigènes va revenir, en pratique, à enfermer les élèves dans une langue qui ne va pas leur offrir la possibilité de pouvoir poursuivre des études. Par ailleurs, les langues indigènes variant d’une région à l’autre, cette pratique va favoriser le fractionnement au sein de la population congolaise {Stengers (J), op.cit., p.218-219}.
Évolution matérielle
Au niveau économique, le Congo est à l’époque, un des pays les plus industrialisés de l’Afrique subsaharienne. Il compte un taux de salariés proche de 40% de la population active masculine. Leurs revenus vont être en partie redistribués aux fractions non salariées de la population via notamment la solidarité clanique et via l’achat de biens de consommation, soutenant ainsi les activités des indépendants et des paysans congolais. Ainsi, la quasi-totalité de la population va se trouver entraînée directement ou indirectement dans un processus général d’expansion économique et de changement social.
Aucune autre société coloniale ne va être, sans doute, soumise à la même époque à un processus de transformation et de mobilité sociales aussi général mais sans participation parallèle des Africains aux responsabilités. Il va y avoir un décalage énorme entre d’une part l’évolution matérielle et les structures concrètes de la vie sociale et d’autre part les structures politiques.
Par ailleurs, on va assister à une exacerbation des rivalités claniques.
Le milieu des années 1950
Apparition du nationalisme congolais
Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1950 que l’on va voir un nationalisme exprimé ouvertement au Congo. Avant cela, les griefs des Africains n’avaient trait qu’à leur statut à l’intérieur même du système. Jusque-là, en effet, presque toute l’élite se serait satisfaite d’obtenir, du moins temporairement, dans le cadre même du régime colonial, l’égalité de traitement pour les Noirs “évolués” et les Blancs. Ses griefs se situaient donc surtout sur le plan des “relations humaines” {Young (C), Introduction à la politique congolaise,op. cit., p.32 et 139}.
Le plan Bilsen
En 1955, le professeur J. Van Bilsen (se basant sur l’idée que “l’Afrique belge” n’échapperait pas indéfiniment au processus mondial d’émancipation déjà perceptible ou en cours dans les territoires non autonomes relevant d’autres puissances coloniales européennes) va rédiger un document dans lequel il défend la thèse d’un plan de 30 ans au terme duquel le Congo serait mis en situation de connaître une émancipation politique réelle (sans à-coups brutaux et reflux sociaux dommageables).
NB: ce plan ne parle nullement d’indépendance. Il évoque, au contraire, “l’espoir qui vit dans nos coeur: voir la Belgique de nos enfants, de nos petits enfants unie au Congo et au Ruanda-Urundi”. Par contre, ce qui est tout à fait neuf, c’est le plaidoyer en faveur d’une planification politique. J. Van Bilsen imagine aboutir, au bout de 30 ans, à une union fédérale belgo-congolaise {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.260}.
Les répercussions du plan Bilsen
En Belgique
Ce plan va être durement attaqué en Belgique par les milieux conservateurs qui en dénonçaient la témérité. Il ne correspondait nullement aux vues “belges“, sinon peut-être à celles de l’Église (Rome commençant à se distancer volontairement des régimes coloniaux {Le Vatican était parfaitement conscient du danger que couraient les communautés chrétiennes d’Afrique si elles continuaient à s’identifier au système colonial moribond. L’Église va donc reconsidérer son avenir, non seulement en modifiant ses rapports avec le système colonial mais en accélérant l’africanisation de son personnel et de sa lithurgie. In Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p.97}) et des personnalités catholiques (les élites congolaises sortaient des séminaires ou d’établissements scolaires catholiques; mieux valait donc mettre en route le processus d’émancipation tant que les institutions laïques concurrentes subissaient encore le handicap de leur création récente).
En juin 1956, les évêques du Congo vont rédiger une importante déclaration par laquelle l’Église va se mettre du côté de l’émancipation {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p. 97}.
Au Congo
Au Congo, par contre, il va faire office de détonateur ou de catalyseur, surtout dans les milieux urbains de Léopoldville. En juillet 1956, un petit groupe de jeunes Congolais (avec, notamment, l’appui de professeurs de l’Université catholique de Lovanium) va publier son premier manifeste: Le manifeste de Conscience africaine. Ils y appellent à “l’émancipation progressive mais totale“ de leur pays. Ils la veulent cependant (et ils le soulignent) dans l’entente avec la Belgique:
“La Belgique ne doit pas voir dans notre désir d’émancipation un sentiment d’hostilité. Bien au contraire. La Belgique doit être fière que -à l’inverse de presque tous les peuples colonisés- notre désir s’exprime sans haine et sans ressentiment. C’est là une preuve indéniable que l’œuvre des Belges dans ce pays n’est pas un échec. Si la Belgique parvient à mener à bien l’émancipation totale du Congo, dans la compréhension et dans la paix, ce sera le premier exemple dans l’histoire d’une entreprise coloniale aboutissant à une réussite complète.” Pour ce qui est du rythme de cette émancipation, les auteurs du manifeste se réfèrent au plan de J. Van Bilsen. “Nous croyons qu’un tel plan est devenu une nécessité (…) Ce plan devrait exprimer la volonté sincère de la Belgique de mener le Congo à l’émancipation politique complète dans un délai de 30 ans.“ {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.261}
Les auteurs optent pour la méthode du dialogue belgo-congolais en vue de réaliser en l’espace d’une génération l’émancipation politique du pays.
A la même époque (août 1956), un 2e manifeste va être publié, celui de l’organisation culturelle des Bakongo {Qui se transformera en 1957-58 en une organisation politique: Abako (la 1er au Congo). Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.264} que présidait un ancien séminariste: J. Kasa-Vubu.
L’ABAKO
Ce document (“Étude du manifeste de conscience africaine par les Bakongo”) va prôner, lui, l’émancipation immédiate du Congo (rejetant donc le terme de 30 ans). Par ailleurs, ce groupe exprimait une tendance du nationalisme tribal (qui va avoir un impact non négligeable sur l’ensemble de la question congolaise du fait de la localisation des Bakongo -de Léopoldville à Matadi-).
Il va prôner, outre une véritable politisation du Congo (symbolisée par l’introduction d’une pluralité de partis politiques et le remplacement du monologue paternaliste du colonisateur {Qui donnait la priorité au développement économique et social par rapport à l’émancipation politique considérée comme prématurée mais aussi comme une menace pour le développement économique} par des négociations), une fédération congolaise à base ethnique et va rejeter l’idée de communauté belgo-congolaise. Le pluralisme de partis était vu comme la résultante de l’option fédérale, ce qui impliquait que “les groupes historiquement, ethniquement et linguistiquement unis ou apparentés s’organisent pour former autant de partis politiques. Chaque “parti” élirait ses représentants“. L’option va être celle d’un parti unique à dimension ethnique {Tshimanga (C),Verhaegen (B), L’Abako et l’indépendance du Congo belge: Dix ans de nationalisme kongo (1950-1960), Cahiers Africains 53-54-55, 2003, p. 157-159}.
La fin des années 1950
Lors des premières élections communales consenties par l’autorité coloniale, en décembre 1957, les premiers élus et les premiers bourgmestres vont être des hommes qui avaient une origine ethnique caractérisée mais aussi des liens avec d’anciennes associations tribales et qui ne se référaient en rien aux partis de la métropole.
La seule organisation politique réellement efficace lors de ces élections de 1957 va être l’Abako {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p.153}, l’organisation des Bakongo (qui n’était pas encore officiellement un parti) de J. Kasa-Vubu.
De façon générale, le nationalisme congolais ne va pas s’épanouir en se donnant un programme qui embrasse tous les aspects de la vie du pays (en abordant les problèmes d’administration, les problèmes sociaux, les questions économiques). Il reste étroitement lié aux revendications purement politiques, à l’émancipation, à l’indépendance. Par ailleurs, ce sont essentiellement, au départ, des “évolués” qui vont être gagnés par l’esprit nationaliste. Le reste de la population ne sera touché que dans un second temps. En outre, parmi les “évolués“, il y a de grosses différences d’attitudes. L’excitation politique se développe surtout dans les milieux des “clercs“ {Agents subalternes de l’administration ou employés de bureau du secteur privé}, beaucoup moins parmi les indépendants (catégorie qui commence à compter dans les villes au niveau économique). C’est donc parmi les “clercs” que l’on va retrouver la majorité des leaders congolais, parmi lesquels P. Lumumba. {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.264-265}.
Éléments qui vont contribuer à la mise en forme de la pensée nationaliste
Ce n’est qu’en 1958 (soit 2 ans seulement avant l’indépendance) que la pensée nationaliste va prendre forme. Deux événements vont y contribuer.
L’exposition universelle de Bruxelles
Dune part, ce sera l’exposition universelle de Bruxelles où l’on va faire venir des centaines de Congolais (pour le pavillon du Congo), parmi lesquels bon nombre de représentants très qualifiés de la nouvelle élite. Elle va donc être l’occasion de rencontres entre Congolais de divers centres urbains.
La constitution d’un groupe de travail chargé de formuler un plan de décolonisation
D’autre part, ce sera la constitution d’un groupe de travail chargé de formuler un plan de décolonisation {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p.140}. Ce groupe de travail va être envoyé au Congo, en octobre 1958, par le Ministre des Colonies afin d’y étudier le problème politique et de formuler des propositions. Dans ce cadre, il va procéder à de nombreuses consultations (quelque 400 personnes).
Le seul fait de solliciter l’opinion des Congolais sur leur avenir va les obliger à expliciter des aspirations restées vagues jusque-là. Ainsi, ce groupe de travail va jouer, en pratique, un rôle de catalyseur dans la formation du mouvement national Congolais (MNC) de Patrice Lumumba, comme de la Conakat de M. Tshombe au Katanga. Le premier désirait présenter un front commun en faveur de l’indépendance immédiate, la seconde défendre les intérêts régionaux du Katanga. Pour ce qui est de l’Abako, on peut considérer que l’élection de Kasa-Vubu à sa tête, en 1954, est un des jalons importants de l’évolution vers un nationalisme qui transcendait les problèmes de discrimination raciale {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p.140 et 152}.
Le groupe de travail va arriver à la conclusion, le 24 décembre 1958, que l’objectif fondamental de la Belgique soit désormais formulé dans les termes suivants:
“La Belgique se propose d’établir au Congo belge un État autonome, bénéficiant d’un régime démocratique, dans le respect des droits de l’homme et des valeurs africaines.”. Suivait l’exposé des premières réformes à accomplir parmi lesquelles, la construction d’institutions démocratiques. Enfin, au “terme de l’évolution, la Belgique offrira aux habitants du Congo le choix, qu’ils pourront exercer en toute liberté, entre l’indépendance complète impliquant la séparation d’avec la Belgique et une association dont les termes seront délibérés par les représentants qualifiés des 2 communautés. (…). Les représentants actuels de la Belgique espèrent qu’une association librement consentie se réalisera. (…).“.
Cette approche était tout à fait caractéristique de la façon dont la Belgique avait envisagé la question coloniale, se voyant comme un colonisateur modèle qui allait faire ce qu’aucune autre puissance coloniale n’avait réalisé jusque-là: réaliser l’indépendance dans l’amitié, sans combattre ceux qui voulaient la liberté de leur pays, mais en leur tendant, au contraire, une main fraternelle {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.266-269}.
Naissance du Mouvement national Congolais (MNC)
Le 28 décembre 1958, au cours d’un meeting politique tenu à Léopoldville et rassemblant plusieurs milliers de personnes (le premier de ce genre dans l’histoire du Congo), Patrice Lumumba définit, dans un grand discours-programme, les objectifs du “Mouvement national Congolais” (MNC) qui vient de naître. Le MNC a pour but, écrit-il,
“la libération du peuple congolais du régime colonialiste et son accession à l’indépendance. (…). Nous voulons dire adieu à l’ancien régime, ce régime d’assujettissement qui prive les nationaux de la jouissance des droits politiques reconnus à toute personne humaine et à tout citoyen libre. (…) Le peuple congolais a droit à son indépendance au même titre que les autres peuples du globe. (…) A nos compatriotes de se joindre à nous afin de servir plus efficacement la cause nationale et de réaliser la volonté d’un peuple qui veut se libérer des chaînes du paternalisme et du colonialisme.“.
Ce discours va être acclamé par des milliers de Congolais {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.263 et 271}.
La dynamique s’accélère
Des émeutes à Léopoldville
Les 4 et 5 janvier 1959, des émeutes vont avoir lieu à Léopoldville. Elles vont être déclenchées suite à l’interdiction qui avait été faite aux Bakongo de se réunir. Ce sera une explosion de fureur populaire. Des foules vont se mettre en mouvement dans des quartiers surpeuplés des communes congolaises où sévissait un chômage massif {L’essor économique qui avait prévalu depuis 1949 va décliner à partir de 1956} parmi les jeunes. La force publique va être requise et l’affrontement se soldera pas 49 morts et 290 blessés (chiffres de la Commission d’enquête parlementaire).
Ces émeutes vont se passer à un moment où le slogan de l’indépendance ne touchait plus uniquement des milieux restreints d’ “évolués” mais s’était étendu à l’ensemble de la population. Par ailleurs, elles vont éclater au moment même où le gouvernement belge, saisi du rapport du groupe de travail, s’apprêtait à y donner suite. Le gouvernement va dès lors renchérir par rapport aux conclusions du groupe de travail et va promettre l’indépendance au Congo {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.269-270}.
Le 13 janvier 1959, le Roi va reconnaître le droit des Congolais à l’indépendance ainsi que la nécessité d’une évolution rapide “mais sans précipitation inconsidérée“ (et en ne précisant pas de date). Au vu du discours du Souverain, on se rend compte que le processus d’émancipation était envisagé comme étant quelque chose de longue haleine, nécessitant un délai long. Ainsi, décrivant les préalables à l’indépendance, le Roi déclarait: “L’indépendance ne se conçoit que moyennant: des institutions solides et bien équilibrées, des cadres administratifs expérimentés, une organisation sociale, économique et financière, bien assise, aux mains de techniciens éprouvés, une formation intellectuelle et morale de la population sans laquelle un régime démocratique n’est que dérision, duperie et tyrannie” {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.274}.
Le même jour, le gouvernement (social-chrétien/libéral) va proposer des premières étapes (dont un renouveau dans les relations interraciales). Le pouvoir colonial croyait encore pouvoir conduire lui-même le Congo à l’indépendance et à la démocratie parlementaire. Il comptait bien en organiser les étapes.
Pour de nombreux Belges, les 4 et 13 janvier vont être perçus comme un double coup de tonnerre, tout à fait inattendu. En effet, jusque-là, le public belge n’avait su que fort peu de chose du nationalisme congolais et de son évolution. Les informations fournies par la presse étaient rares. Toutefois, l’effet de surprise passé, il va apparaître clairement que la population belge ne veut pas de lutte {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.273}.
En février 1959, la ségrégation résidentielle va être abolie après avoir été une réalité depuis la loi de 1898 prévoyant une séparation complète entre quartiers noirs et blancs. Toutefois, cela ne va rien changer en pratique {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p.59}.
Au cours de l’année 1959, le rythme va rapidement s’accélérer. Alors que personne en Belgique n’avait imaginé, au début de l’année, l’indépendance dans un délai court, celle-ci allait pourtant s’avérer être une réalité un an et demi plus tard. La marche s’était transformée en course {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.275}.
La naissance de nombreux partis politiques
Cette année 1959 va être dans les villes congolaises, et même progressivement dans les campagnes, une année de vie politique frénétique. Les partis vont naître les uns après les autres, lancer des manifestes, organiser des congrès {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.277}.
Entre eux va sembler se dessiner un clivage séparant les groupes partisans d’une prochaine indépendance totale des “modérés” s’appuyant sur des milieux coutumiers {Notons que la “modération” des chefs coutumiers n’était pas générale et là où elle s’exprimait, c’était souvent par crainte d’une remise en cause de l’autorité traditionnelle au profit de porte-parole nouveaux, mis en évidence par la revendication nationaliste} ou proches de la société blanche.
Toutefois, la tendance en faveur de l’indépendance immédiate va progressivement dominer les autres et ce, dans un contexte de compétition entre les partis et de crainte de se laisser dépasser en se montrant trop “modéré”. Par ailleurs, on verra des phénomènes de désobéissance civile apparaître dans une partie de la région du Bas-Congo, où la seule autorité que la population reconnaît est celle du parti Abako et de son chef, J. Kasa-Vubu {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.277-278}.
Les forces coloniales traditionnelles sont en retrait
De leur côté, les forces traditionnelles qui avaient dominé jusqu’alors la scène coloniale (administration, Eglise, grandes sociétés) ne vont plus jouer, en cette période critique, qu’un rôle mineur. Ainsi, dans le processus de décision, l’administration va être court-circuitée et contrainte d’assister à la mise en œuvre d’une politique qu’elle désapprouve complètement. Ce sera aussi le cas des Européens du Congo, pas du tout organisés pour la lutte politique. L’Église, quant à elle, va se tenir à l’écart, se bornant à donner son approbation de principe à l’idée d’émancipation. L’enjeu pour elle est de ne pas être identifiée à la puissance coloniale et d’éviter ainsi que la décolonisation ne se fasse aussi contre elle. Enfin, les grandes sociétés coloniales, surprises et désorientées face à ce qui est occupé de se passer vont chercher surtout à s’assurer la bienveillance de tous les partis. Ainsi, en septembre 1959, les rapports de la Sûreté de l’Etat signalent que “la Société Générale, sans s’engager ouvertement (…) autorise ses filiales à subventionner (…) les associations ou partis, en ville comme en brousse.”. Ainsi, “les sociétés arrosent indifféremment les partis, afin de se ménager des amis parmi les futurs dirigeants.” {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.281-284}.
Les années 1960
La conférence dite de la “Table-ronde”
Au mois de janvier 1960 va s’ouvrir à Bruxelles la conférence belgo-congolaise de la table-ronde chargée de discuter la question des futures institutions du Congo.
Un front commun congolais pour la conquête de l’indépendance
Elle va réunir du côté congolais, plusieurs dizaines de délégués représentant les partis politiques et les chefs coutumiers et du côté belge, les ministres concernés ainsi que 10 parlementaires désignés par les groupes politiques. Les Congolais vont venir à Bruxelles avec la ferme détermination de conquérir leur indépendance immédiate {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.285-286}.
C’est lors de cette table-ronde que va être fixée définitivement la date de l’indépendance {A la veille de son ouverture, les délégués congolais avaient constitué un front commun auquel ils avaient assigné la défense commune visant à accéder à l’indépendance le 1/6/1960}. Ce sera le 30/6/1960. Mais, dans l’esprit des autorités belges, il ne s’agissait pas d’une indépendance totale du Congo. Pour eux, le pouvoir des institutions congolaises ne couvrirait pas, avant 2 ans au moins, l’ensemble des compétences. Ainsi, la défense, les Affaires étrangères et la monnaie notamment figureraient parmi les compétences non immédiatement transférées aux Congolais. Le front commun congolais réagit violemment à cette façon de voir les choses et finit par faire accepter la résolution selon laquelle “l’indépendance reconnue au Congo doit comporter le transfert de la totalité des compétences sans que la Belgique s’en réserve aucune.”. De même, l’idée de confier au roi des Belges la fonction de chef de l’Etat congolais à titre transitoire ne va pas être retenue.
Par ailleurs, alors que dans l’esprit du gouvernement belge, la table-ronde devait être uniquement consultative, les Congolais voulaient qu’elle soit décisionnelle. Le Parlement belge va donc être réduit à une fonction d’entérinement {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.287}.
Une division congolaise concernant l’organisation institutionnelle
Mais, alors qu’ils avaient réussi à constituer un front commun par rapport à une série de questions, les Congolais vont se montrer profondément divisés concernant l’organisation institutionnelle. P. Lumumba (MNC) était nettement unitariste et réclamait un pouvoir central fort. M. Tshombe (Conakat), à l’inverse, se prononçait pour un fédéralisme qui donnerait aux provinces une très large autonomie. Entre ces 2 positions, il y avait toute une série de positions intermédiaires. Finalement (grâce aux efforts de conciliation des délégués belges), ils vont arriver à une formule de compromis: le pouvoir central conservait toutes les attributions essentielles dans le fonctionnement d’un Etat moderne mais les autorités provinciales se voyaient cependant attribuer, dans différents domaines, une compétence étendue. Quant à la question du partage des ressources financières (dont les redevances minières), elle va être tout simplement renvoyée à plus tard. Ce serait au Congo indépendant de trancher le différend. Les responsables belges vont se montrer très prudents et ne vont pas essayer de peser en faveur d’une formule fédéraliste.
De façon générale, les partisans du fédéralisme vont prédominer dans les provinces riches de la périphérie. Les unitaristes, quant à eux, vont se recruter surtout dans les provinces les plus pauvres du centre ou dans les minorités ethniques des provinces riches (l’État étant vu, dans ce cas, comme le protecteur des minorités).
NB: le fédéralisme défendu par l’Abako (Bas-Congo) va être très différent du fédéralisme katangais de la Conakat. Il supposait une forme de gouvernement qui garantirait aux Kongo leur autonomie culturelle. Considérant que leur “pays” était plus développé que les autres régions, leur indépendance n’avait pas à dépendre, selon eux, du développement des tribus voisines. Par contre, ils ne voyaient aucun intérêt à l’aspect économique du fédéralisme. Pour eux, l’unité économique du pays était souhaitable. Toutefois, les 2 fédéralismes vont se rejoindre sur leur manque de précision quant aux détails pratiques (répartition des pouvoirs en matière d’impôts, de police, de recrutement et de direction de l’administration, de la délimitation des provinces…) {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p. 303}.
Une clôture plutôt chaleureuse
La table-ronde va se terminer le 20 février (soit un peu plus de 4 mois avant l’indépendance) dans une atmosphère plutôt chaleureuse comme le montre le discours de P. Lumumba: “(…) le fait pour la Belgique d’avoir libéré le Congo du régime colonial que nous ne supportions plus lui vaut l’amitié et l’estime du peuple congolais. (…) Aujourd’hui, nous allons oublier toutes les fautes du passé, toutes les causes de dissensions pour ne voir que cet avenir merveilleux qui sourit devant nous. (…) Jeune Etat, nous aurons besoin des conseils et du concours technique de la Belgique. Nous espérons fermement que ce concours ne nous sera pas refusé. (…)” {Cité in Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.290}.
La constitution du premier gouvernement congolais
Du 11 au 25 mai 1960, des élections législatives et provinciales vont avoir lieu au Congo. Ces élections vont se dérouler dans une ambiance très lourde (tensions politico-ethniques…). Différentes tentatives (fortement encouragées par les milieux coloniaux) vont avoir lieu en vue de sceller une coalition anti-Lumumba, mais elles vont échouer. C’est le Mouvement National Congolais (MNC) de Lumumba qui va sortir vainqueur des élections. Le MNC va remporter à la Chambre 41 sièges {Dont 8 dus à des partis associés dans le Kasaï. Dans Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p.156} sur 137.
Le 23 juin, soit 7 jours avant la proclamation de l’indépendance, le gouvernement est constitué. Il est présidé par P. Lumumba. Le lendemain, les Chambres réunies élisent Kasa-Vubu comme chef de l’État. On va voir, à partir de ce moment-là, une importance accrue du facteur inter-personnel et donc du rôle joué par les personnalités des différents leaders: P. Lumumba, Kasa-Vubu, M. Tshombe {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.293}.
La situation du Congo au moment de l’indépendance, en bref :
- Du point de vue de l’enseignement: Contrairement à ce qui avait été fait, notamment en France, les universités belges n’ont pas formé de futurs hauts fonctionnaires capables de préparer le pays à l’indépendance {Craeybeckx (J), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p. 374}. En 1960, le Congo comptait 16 diplômés universitaires {Dont le premier a obtenu son diplôme en 1956} (tandis que dans les territoires de l’Afrique occidentale ou encore, au Kenya ou en Ouganda, les Africains qui avaient bénéficié d’une formation universitaire se comptaient par centaines). Par contre, il y avait déjà, en 1960, plus de 600 prêtres congolais {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.207-209}.
- Du point de vue économique: la Belgique a administré sa colonie dans l’intérêt de certains groupes industriels et financiers, d’une manière paternaliste et autocratique, de sorte que ce gigantesque territoire ne va pas du tout être préparé à l’indépendance. La société Générale de Belgique contrôlait (par le canal de holdings et de filiales) environ 70% de l’économie coloniale. La multinationale “Union Minière” (U.M) avait des concessions dans un territoire plus vaste que la Belgique, qu’elle administrait pratiquement seule. Elle était l’un des plus grands producteurs de cuivre, de zinc, de cobalt et de radium du monde. Les dividendes versés par les entreprises congolaises étaient plus importants que ceux versés par les entreprises belges {Craeybeckx (J), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p. 374-375}.
- Du point de vue sanitaire: l’appareil médical et hospitalier au moment de l’indépendance du Congo, est sans doute le meilleur de tout le monde tropical {Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.205}. En 1957, le taux de mortalité était de 20/1000 et près de la moitié des femmes congolaises venaient accoucher dans des maternités sous surveillance médicale. La mortalité périnatale était de 4%.
La cérémonie d’indépendance
Lors de la cérémonie d’indépendance du 30 juin 1960, on va entendre successivement 3 discours: celui du roi des Belges, celui du chef de l’État congolais et (surprenant tout le monde car il n’était pas prévu), celui du Premier ministre.
Avec le discours du Roi s’exprimait la pure tradition coloniale de la Belgique, avec tout ce qu’elle comportait de satisfaction de soi :
“L’indépendance du Congo constitue l’aboutissement de l’œuvre conçue par le génie de Léopold II, entreprise par Lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique. (…). Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d’abord pour délivrer le bassin du Congo de l’odieux trafic esclavagiste qui décimait ses populations ; ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies qui, jadis ennemies, s’apprêtent à constituer ensemble le plus grand des Etats indépendants d’Afrique (…). Lorsque Léopold II a entrepris la grande œuvre qui trouve aujourd’hui son couronnement, il ne s’est pas présenté à vous en conquérant mais en civilisateur (…). Le Congo a été doté de chemins de fer, de routes (…). Des hôpitaux nombreux et remarquablement outillés ont été construits. L’agriculture a été améliorée et modernisée. (…) Le grand mouvement d’indépendance qui entraîne toute l’Afrique a trouvé, auprès des pouvoirs belges, la plus large compréhension. (…). C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient maintenant de démontrer que nous avons eu raison de vous faire confiance. (…). Que Dieu protège le Congo.” {Cité in Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.294-295}.
Celui du Premier ministre P. Lumumba se situait, lui, clairement dans la logique nationaliste :
“(…) cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais (…) ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste (…). Cette lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers (…) car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. (…). Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un Noir on disait tu (…) parce que le vous honorable était réservé aux seuls Blancs! Nous avons connu que nos terres furent spoliées au nom de textes prétendument légaux qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort. Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir: accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres (…); qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas ni dans les restaurants (…). Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation ! (…) Vive l’indépendance et l’unité africaine. Vive le Congo indépendant et souverain !“ {Cité in Stengers (J), Congo, mythes et réalités, éd. Racine, 2005, p.295-296}.
Ce discours anti-colonialiste de P. Lumumba, devant le Roi Baudouin, va fournir aux colons et aux dirigeants katangais de la Conakat {Qui avaient, à la veille de l’indépendance, préparé une tentative de sécession au Katanga, tentative qui avait été neutralisée par les services belges. Cet épisode montre combien les facteurs de dilution de l’Etat central opéraient déjà avant l’indépendance} des soutiens accrus dans les milieux coloniaux, voire dans l’opinion métropolitaine.
Une vague de contestations
La révolte de la force publique
Au début de juillet 1960, des militaires déçus de la force publique (qui est toujours dirigée par un général belge, E. Janssens, bien décidé à prouver aux soldats congolais que l’indépendance n’a rien changé, en pratique) vont jouer un rôle d’entraînement dans une sorte de contestation du gouvernement Lumumba qui va dégénérer en violence à l’égard des Européens (accusés de complots contre le nouvel Etat par la radio de Léopoldville). Pour tenter de reprendre l’affaire en mains, Lumumba va croire habile de ne pas sévir contre les militaires qui agissaient sans ordre et se livraient à des actes condamnables.
Le 14 juillet, Lumumba et Kasa-Vubu vont demander à l’Union soviétique de tenir la situation à l’œil {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p. 221}.
La sécession du Katanga et du sud Kasaï
L’armée belge va intervenir en différents endroits du pays (Katanga, Kasaï, Matadi et Léopoldville) ce qui va déclencher une catastrophique escalade dans les événements : proclamation d’un État sécessionniste au Katanga par Moïse Tshombe (qui va rompre avec Léopoldville), rupture des relations entre la Belgique et les autorités centrales congolaises et rapatriement des Belges par pont aérien, envoi de casques bleus des Nations Unies, assistance directe de la Belgique au Katanga {Où elle a d’importants intérêts économiques. Ainsi, fin 1960, l’Union Minière du haut Katanga occupait 20.876 travailleurs manuels africains et 1.755 “cadres” et produisait 300.000 tonnes de cuivre. Elle était la première productrice mondiale de cobalt. (Mabille (X), Histoire politique de la Belgique, éd CRISP, 2000, p. 281)} puis au Sud Kasaï (en sécession également), lutte des secessionnistes contre l’armée nationale congolaise.
Le premier ministre Lumumba va sommer le président J. Kasa-Vubu d’exiger le retrait de l’armée belge. L’Union soviétique va également entamer des démarches dans ce sens et amener les Nations Unies à demander et obtenir de la Belgique le départ de ses militaires. Des mercenaires et instructeurs militaires vont cependant rester sur place {Craeybeckx (J), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p. 375-376}.
Pendant les 2 mois qui vont séparer le début de la mutinerie (juillet) de la chute de son gouvernement (septembre), les objectifs de Lumumba vont être la liquidation des sécessions katangaise et Sud-Kasaï, de même que la consolidation de l’autorité de son gouvernement. Sur les 2 fronts, il va rencontrer des obstacles énormes. D’une part, son armée était pratiquement sans commandement et il va lui falloir bien du temps avant de pouvoir la reprendre en mains. Les seules forces armées réellement efficaces sont celles de l’ONU et de la Belgique. D’autre part, son Conseil des ministres était très nombreux, hétérogène et lourd à manier et les relations entre Lumumba et Kasa-Vubu étaient tout sauf cordiales. Lumumba va rapidement comprendre que l’ONU n’a pas l’intention de lancer une action déterminée en vue de réduire par la force la sécession katangaise. Il va décider de lancer lui-même une offensive militaire contre le Sud-Kasaï et le Katanga, en août. La reconquête du Sud-Kasaï va se transformer en un massacre de la population civile luba, ce qui va discréditer le gouvernement Lumumba à un moment critique. Et lorsque au début septembre, on va voir apparaître 10 avions et 60 camions soviétiques, expédiés en réponse à l’appel de Lumuba, le Premier ministre va donner l’impression d’avoir opté pour une alliance avec les Soviétiques. Dans la capitale, l’opposition va grandir rapidement. Lumumba n’y dispose pas d’un seul groupe important de partisans et ce sera là un handicap fatal.
La destitution et la mort de Lumumba
Le 5 septembre, le président Kasa-Vubu va donner lecture de l’ordonnance par laquelle il révoque le Premier ministre Lumumba {De son côté, Lumumba fit de même à l’égard de Kasa Vubu, révocation que le Parlement congolais annula} et va charger Ileo de former un nouveau gouvernement . Toutefois, le 7 septembre, la chambre congolaise des représentants va déclarer par 60 voix contre 19 (sur un total de 137 députés) que la révocation est annulée. Le Sénat va faire de même le lendemain, par 41 voix contre 2 et 6 abstentions (sur un total de 84 membres) {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p 174-176}.
Le 14 septembre, le Chef d’état major Mobutu (qui va être ensuite nommé commandant en chef de l’armée, ce qui lui permettra de consolider sa main mise sur celle-ci) va tenir une conférence de presse. Il y annonce que l’armée “neutralise” le président Kasa-Vubu et le premier ministre Ileo et désigne un “Collège des Commissaires” composé d’étudiants universitaires destiné à servir de gouvernement faisant fonction jusqu’à la fin de l’année. A partir du 15 septembre, Lumumba va être mis en résidence surveillée dans sa demeure de fonction, encerclé par des soldats de l’ONU pour empêcher son arrestation et par un second cordon de troupes congolaises pour empêcher son évasion. Peu à peu, la “coalition Kasa-Vubu/Mobutu/Collège des Commissaires” va réussir à s’assurer le contrôle de Léopodville et des corps constitués. A la fin novembre, Lumumba va s’échapper mais il va être capturé peu de temps après, le 2 décembre, dans une zone habitée par les Luba du Kasaï. Emprisonné au camp de Thysville, il va être transféré, le 17 janvier, au Katanga où il sera exécuté {Avec le Vice-Président du Sénat et le Ministre de la Jeunesse}, dans les 5 heures suivant son arrivée {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p177-178 et 262-263}.
La responsabilité de la Belgique dans la mort de Lumumba
Au début des années 2000, une Commission d’enquête parlementaire va être instituée, en Belgique, afin de déterminer le rôle joué par la Belgique dans l’assassinat de Lumumba.
Dans le rapport qu’elle a rendu en 2001 {CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS DE BELGIQUE, ENQUÊTE PARLEMENTAIRE visant à déterminer les circonstances exactes de l.assassinat de Patrice Lumumba et l’implication éventuelle des responsables politiques belges dans celui-ci, RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D.ENQUÊTE PAR MM. Daniel BACQUELAINE ET Ferdy WILLEMS ET MME Marie-Thérèse COENEN, 16 novembre 2001}, on peut notamment lire:
“(…) Dès le début de la crise, qui a surpris le gouvernement belge, il est clair que l’on va assister à une rupture fondamentale entre Lumumba et le gouvernement belge et que, petit à petit, non seulement le gouvernement belge, mais aussi d’autres gouvernements {Parmi lesquels le gouvernement américain qui organise, en coulisse, une opposition active contre Lumumba} ainsi que de nombreuses composantes de la société belge et de la société congolaise s’emploient, de manière coordonnée ou non, à éliminer politiquement Lumumba. (…) Le soutien apporté par la Belgique au Katanga et au gouvernement de Tshombe constituera un élément important dans le cadre de la lutte contre le gouvernement Lumumba. Ce n’est pas tant la sécession en soi qui constitue un objectif à cet égard que la restructuration confédérale du Congo, par laquelle le gouvernement belge espère enlever à Lumumba et à son mouvement unitaire, le MNC, le fondement de leur pouvoir et la base économique de celui-ci. Le soutien apporté par la Belgique à la sécession du Sud-Kasaï et les projets visant à créer un Congo fédéral ou confédéral s’inscrivent également dans ce cadre. (….) Les actions soutenues par le gouvernement belge ne constituent qu’une partie de l’”opposition belge” au gouvernement Lumumba. La sécession katangaise aurait été impossible sans le soutien de l’Union Minière, qui a fourni les moyens financiers nécessaires à la sécession katangaise en payant des impôts au seul gouvernement de Tshombe. Nous constatons que la Forminière a agi au Sud-Kasaï de manière similaire à l’Union Minière au Katanga. Par suite de la perte des recettes fiscales du Katanga et du Sud-Kasaï, le gouvernement Lumumba ne dispose quasiment plus de moyens financiers. Les intérêts du Katanga et de l’Union Minière se mêlaient d’ailleurs à plus d’un égard: la société minière gérait des écoles et des hôpitaux ainsi que des ponts et des routes, situés sur le territoire de ses concessions. L’Union Minière a par ailleurs tenté de créer des groupes militaires et paramilitaires afin de défendre ses intérêts dans la lutte armée contre les partisans armés de Lumumba. (…) Après avoir accordé son soutien à son éviction comme Premier ministre, le gouvernement belge voulut éviter son retour au pouvoir, éventualité qui était bien réelle. La première mesure en ce sens, et la plus importante, sur laquelle le gouvernement belge insista fortement, fut l’arrestation de Lumumba (“mettre hors d’état de nuire”, selon les propres termes du ministre Wigny). Le 10 octobre, quand Mobutu se décida à arrêter Lumumba, ce qu’il s’était refusé de faire jusqu’alors, il était prévu que l’opération se réalise en échange de la promesse belge d’une assistance militaire et technique à l’Armée Nationale Congolaise (ANC). Le gouvernement belge s’opposa par la suite à toute forme de réconciliation, directe ou indirecte, entre dirigeants congolais. (…) L’objectif du gouvernement belge est d’emprisonner Lumumba et de le transférer au Katanga. Conformément aux instructions des ministres compétents et de leurs cabinets, les Belges présents à Léopoldville et à Brazzaville s’emploient à atteindre ces objectifs. (…) Les instances gouvernementales belges n’ont jamais insisté pour qu’il y ait un procès. (…) Aucun signe de réprobation ou de préoccupation concernant la possibilité d’une élimination physique de Lumumba n’a été donné, que ce soit (…) au président Tshombe ou aux autorités congolaises de Léopoldville. (…) A aucun moment le gouvernement belge n’a protesté auprès du gouvernement katangais contre l’assassinat de Lumumba (…). Le transfert de Lumumba au Katanga a été organisé par les autorités congolaises de Léopoldville. Elles ont, pour ce faire, bénéficié du soutien d’instances gouvernementales belges, et plus précisément des ministres des Affaires étrangères et des Affaires africaines et de leurs collaborateurs. Les conseillers belges en poste à Léopoldville ont prêté leur concours à l’organisation du transfert. (…) À la lumière de ce qui précède, tenant compte des normes de la morale publique d’aujourd’hui et sans entrer dans les considérations morales personnelles de l’époque, la commission est amenée à conclure que certains membres du gouvernement belge et d’autres acteurs belges ont une responsabilité morale dans les circonstances qui ont conduit à la mort de Lumumba.“
L’après Lumumba
A la fin de l’année 1960, le Congo est divisé en 4 fragments autonomes possédant leur propre armée.
La fin de la sécession katangaise
Le 2 août 1961, le Parlement vote à l’unanimité la confiance à l’égard du gouvernement de Cyrille Adoula, homme qui a toujours défendu l’unité du Congo contre les projets de confédération katangais et qui a mis fin, en tant que ministre de l’Intérieur (du gouvernement Ileo), aux persécutions contre les éléments pro-lumumbistes. Intelligent, il est un travailleur intègre et non suspect de chauvinisme ethnique. Il n’a pas de base électorale locale. Par ailleurs, il n’est pas impliqué dans l’assassinat de Lumumba. Des 27 ministres de son gouvernement, 16 avaient été, en 1960, du bloc lumumbiste {Ce qui n’empêcha pas Adoula d’être confronté, tout au long de son mandat, à une opposition qui proclamait sa fidélité à l’héritage lumumbiste d’un nationalisme radical}. La formation de ce gouvernement va mettre fin à la crise constitutionnelle qui prévalait depuis le 5 septembre 1960. Il va lui falloir, notamment, mettre fin à la sécession katangaise. L’ONU va mener différentes opérations sur le sol katangais afin, notamment, d’expulser les mercenaires et conseillers politiques étrangers s’y trouvant. Les Etats-Unis, et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne, étaient persuadés que toute stabilité était impossible dans le reste du Congo aussi longtemps que subsisterait la sécession katangaise. La Belgique, qsuant à elle, qui avait au début appuyé cette sécession va peu à peu changer ses vues à ce sujet {Depuis qu’en Belgique, un gouvernement social- chrétien/socialiste avait remplacé un gouvernement social- chrétien/libéral, en avril 1961} et être disposée, elle aussi (malgré la puissance du lobby katangais à Bruxelles), à prendre des mesures pour forcer Tshombe à accepter une véritable réunification {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p. 178-190 et 219}.
Adoula et Tshombe ne vont pas parvenir à un accord et, en fin de compte, c’est l’ONU qui va mettre fin à la sécession katangaise par son intervention armée qui va avoir lieu du 28/12/1962 au 17/1/1963 {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p. 270}.
A la même époque, Mobutu va veiller à renforcer sa position. Ainsi, au cours de l’année 1963, il va pratiquer un système de rotation des officiers et retirer des postes de commandes ceux qui ne manifestent pas suffisamment d’enthousiasme à son égard. Les postes-clés vont ainsi être distribués aux officiers dont la loyauté à l’égard de Mobutu ne fait pas de doute {Young (C), Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaires du Congo, 1968, p. 270}.
Des rébellions populaires d’inspiration lumumbiste
De 1963 à 1965, dans une grande partie du Congo (surtout dans les régions de l’Est) des rébellions populaires d’inspiration lumumbiste vont faire rage. Elles étaient dirigées, notamment, contre les exactions de l’armée nationales et de la nouvelle castes des bureaucrates ainsi que contre les prix usuraires.
En 1964, Stanleyville (Kisangani) va être prise par les rebelles qui vont proclamer la République populaire du Congo. J. Kasa-Vubu va faire appel à Tshombe pour s’opposer à “l’armée des simbas” (lions) composée de jeunes paysans lumumbistes. Tshombe va rassembler une armée de mercenaires (membres de l’OAS française, anciens SS, Sud-Africains, Rhodésiens, Belges, aventuriers de tous calibres qui ne reculaient devant rien). Mais, cela ne va cependant pas empêcher la rébellion de s’étendre sur pratiquement 2/3 du territoire congolais. Tshombe va alors faire appel au gouvernement belge pour sauver des otages blancs détenus à Stanleyville (Kisangani). Des paras belges vont être largués par des avions américains. Cette intervention belge, présentée comme purement humanitaire, va être condamnée par le Conseil de Sécurité de l’ONU, principalement par les pays du bloc de l’Est et par les pays du Tiers-monde.
En 1965, les différents foyers de révolte vont être progressivement éteints au cours d’opérations menées par des mercenaires et qui vont faire des dizaines de milliers de morts {Craeybeckx (J), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p. 377}.
La prise de pouvoir par Mobutu
Dans un contexte d’instabilité politique {En 1965, un bras de fer oppose le président Joseph Kasavubu au premier ministre Moïse Tshombe. Ce dernier est démis de ses fonctions, mais le choix de son successeur crée une situation d’instabilité}, un coup d’État va être organisé le 25 novembre 1965 par l’Armée nationale congolaise qui va porter à la tête du pays le général Joseph Mobutu. En 1966, ce dernier va devenir Président de la République et le chef du parti unique. Son régime néocolonialiste va bénéficier de l’appui total des Etats-Unis qui avaient toujours désapprouvé la sécession katangaise {Le nombre d’investisseurs belges va toutefois diminuer, Mobutu faisant peser parfois de lourdes menaces sur les investissements}.
Mobutu va tout faire pour attirer des investisseurs étrangers {Le nombre d’investisseurs belges va toutefois diminuer, Mobutu faisant peser parfois de lourdes menaces sur les investissements}. Des projets d’envergure vont être menés comme la construction des barrages d’Inga, grâce à des capitaux français et belges. Toutefois, ces projets vont poursuivre plus un but de prestige qu’autre chose et le régime de Mobutu va conduire progressivement le pays à la faillite. L’ancien réseau de route, les soins de santé… vont se démanteler et la dette de l’Etat s’accroître en même temps qu’une énorme inflation va se produire. Seuls les territoires restés aux mains des multinationales vont s’avérer rentables. Le régime est corrompu et Mobutu lui-même investit ses fonds à l’étranger. Il va se rendre en Belgique à plusieurs reprises afin d’obtenir des aides ou de nouveaux emprunts.
En 1977-78 des révoltes vont éclater dans l’immense province du Katanga (devenue le Shaba). Les rebelles du Front de libération Nationale du Congo vont chercher à s’emparer de Kolwezi (cuivre). Il va apparaître très rapidement que Mobutu ne peut compter sur ses propres troupes et qu’il va devoir faire appel à la France (la Légion étrangère), à la Belgique et au Maroc. Le gouvernement belge (en dépit de son aide militaire et au développement) va hésiter sur l’attitude à prendre. Ce sont finalement les paras français qui vont délivrer in extremis les Blancs de Kolwezi {Craeybeckx (J), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p. 378}.
→ De façon générale, après l’indépendance, la Belgique va continuer à s’engager au Congo par des interventions militaires (lors des rébellions de 1964), par des interventions d’assistance civile et militaire et par le maintien d’un flux économique et commercial important.
→ Le Congo, où d’importants intérêts belges vont être en jeu, va être un point chaud de la politique étrangère belge.
→ Le roi Baudouin va faire le maximum pour empêcher que l’ancienne colonie ne s’éloigne trop de la Belgique {Outre l’Amérique et quelques autres pays, la France va également s’intéresser au Congo à partir de 1960 (particulièrement dans le cadre de sa politique africaine) ce qui ne va pas être du goût du Roi ni du gouvernement belge}. Il va dès lors maintenir de bonnes relations personnelles avec le dictateur-maréchal-président, en dépit de frictions entre les deux gouvernements et d’articles parfois très critiques parus dans la presse belge {Craeybeckx (J), La Belgique politique de 1830 à nos jours, éd. Labor, Archives du Futur, 1987, p. 377-378}.